Déportée de Levoncourt à Untermachtal en 1943

 

Par Jean MARTIN

 

 

 

Madame Marie Odile MARTIN née HUBLER, ma maman, a vu le jour le 22 décembre 1912 à Levoncourt où elle a passé les trente premières années de sa vie. Aujourd’hui encore (elle est décédée le 12/1/2010) elle raconte ces évènements qui lui trottent dans sa tête. Nous avons retrouvé un texte qu’elle a écrit en 1986, qui avait servi pour accompagner une demande d’indemnisation et qui relate ces faits de manière saisissante.

Elle a été déportée en Allemagne avec ses parents parce que ses 2 frères avaient quitté l’Alsace pour se soustraire à l'incorporation allemande et qu’elle avait aidé à franchir clandestinement la frontière. L’un séminariste à Altkirch, a rejoint un régiment de zouaves en Tunisie, puis à Alger où il a été affecté au deuxième bureau comme interprète, l’autre a été interné dans des camps en Suisse avant de rejoindre la France libre et de séjourner en Haute Savoie.

 

 

 

Elle écrit :

Le 8 septembre 1942, quelles ne furent pas notre surprise et notre émoi, pour mes parents surtout, âgés de 61 et 55 ans, de voir la Gestapo entrer dans la maison et donner des ordres brutalement. Nous avions une demi-heure pour nous habiller et emporter juste ce que chacun pouvait porter. Quatre familles de Levoncourt ainsi que six de Courtavon, village voisin ont subi le même sort.

Par camions militaires nous avons été transportés, sous bonne garde, jusqu'à Colmar, lieu le rassemblement. Beaucoup de familles alsaciennes occupaient déjà cet endroit. Si mes souvenirs sont exacts, il devait y avoir comme un tribunal militaire, que sais-je ? Ce qui reste gravé dans ma mémoire c'est l'image de maman mourante. Un aumônier présent lui donna les derniers sacrements. Cet état subitement aggravé était certainement dû à la frayeur qui s'était emparée d'elle devant l'obligation de tout quitter. Papa, lui, avait déjà été en Russie au cours des années 1914-1918. Ne pratiquant pas la langue allemande, c'était d'autant plus pénible pour moi de comprendre ce qui se passait ce jour-là, mais dans la même soirée nous fûmes ramenés à la maison.

 

Hélas, ce retour ne fut pas de longue durée puisqu’une nouvelle contrainte, le 27 février 1943 nous obligea à quitter notre maison. Réveillés en pleine nuit, sans ménagements, il fallait obéir aux ordres. Les séquelles de la frayeur précédente s'étaient déjà fait sentir sur l'état de santé de mes parents. Moi, jeune encore, j'avais à l'époque 30 ans, je souffrais de voir leurs visages affolés devant l'incertitude, l'inconnu, l’abandon de tout.

 

Le lieu de rassemblement était Carspach, près d'Altkirch, Une institution religieuse réquisitionnée par les nazis, fortement gardée. De la paille sur les planchers pour dormir. Embarquement à la tombée du jour. Voyage pénible, angoissant, nous quittions, l'Alsace, la France, pour une destination inconnue. Ceux qui ne l'ont pas vécu ne peuvent pas comprendre. Un souvenir parmi d'autres : ma mère qui essayait de chauffer un biberon sous son bras, pour le bébé d'une jeune voisine. Puis, un matin nous arrivons à Untermachtal (dans le Wurtemberg) ordre de descendre du train nous fut donné. Nous marchons péniblement pour monter un coteau qui devait nous conduire à un Umsiedlungslager camp spécial. C'était une matinée grise et glaciale. Ma vision de ce jour reste gravée dans ma mémoire comme si c'était hier : devant nous, derrière nous, cette foule de femmes, d'enfants, de vieillards innocents, ainsi surveillée, malmenée. Ce n'est pas possible que nous soyons ainsi traités! Dans le camp: hommes, femmes, enfants mêlés, paillasses, cuvette ébréchée en guise d'assiette, repas déplorables, manque d'hygiène, surveillance pas les S.S.

 

 

C’est dans le camp d’Untermachtal, aménagé dans un hospice tenu par des religieuses, que plusieurs familles de réfractaires sundgauviens ont été entassées en 1943.
C’est dans le camp d’Untermachtal, aménagé dans un hospice tenu par des religieuses, que plusieurs familles de réfractaires sundgauviens ont été entassées en 1943.

Notre séjour dans ce camp dura six semaines environ. Les hommes et les femmes jeunes et valides furent les premiers à être obligés d'aller travailler, car il faut ajouter que dans tous nos déplacements où nous avons été contraints, toutes et tous nous étions considérés comme des travailleurs volontaires. La vérité c'est que toutes ces familles ont été déportées par punition parce que soit nos frères, sœurs, fiancés ou maris ont franchi clandestinement la frontière de l'époque soit vers la Suisse, soit vers la France pour ne pas porter l'uniforme allemand, pour ne pas servir d'une façon ou d'une autre à la guerre hitlérienne.

Je reviens au placement au travail. Ce fut, au cours des jours, comme une foire aux bestiaux, les "acquéreurs" venaient choisir ceux dont ils avaient besoin pour remplacer les bras manquants. Combien de familles furent à ce moment-là séparées. A notre tour, mes parents et moi fûmes appelés à quitter le Lager, bien que restant sous son contrôle. Encore un voyage vers l'inconnu, vers deux fermes isolées près d'une forêt. Là se trouvaient déjà deux Polonais et un Ukrainien. Comme logement, nous avons eu droit à un espace restreint dans le grenier avec une lucarne pour fenêtre. Le moral était bien bas. Au bout d'un certain temps nous étions épuisés par un travail pénible que nous ne supportions plus physiquement.

 

 

 

 

 

 Ma mère fut hospitalisée du 14 avril 1943 à mai 1944. Depuis le grand choc de sa première arrestation, sa santé était ébranlée. Mon père aussi fut hospitalisé. Le gros travail manuel qu'il devait fournir â son âge était au-dessus de ses forces. Ne pouvant plus fournir le travail requis, nous avons dû repartir pour une autre direction, le Lager de Bad-Rippoldsau. Ma mère fut occupée au service d'entretien, mon père aux corvées, tandis que j'étais placée dans une famille de six enfants, de sept ans à six mois. Le mari n'était pas mobilisé, il appartenait bien sûr au parti nazi. Séparée de ma famille, ne parlant pas l'allemand, je tombais un peu plus tard, moi aussi, malade (complications hépatiques).

J'ai dû réintégrer le camp. Quelques temps après je fus dirigée sur un atelier de couture et de réparation des vêtements militaires aux côtés d'ouvrières de différentes nationalités, dont des françaises de la milice desquelles il fallait se méfier. Je n’ai bien sûr, touché aucun salaire.

En décembre 1944, ordre d'emballer nos effets le plus vite possible pour être dirigés vers le camp de Riedlingen (Wurtemberg).

 

Enfin, nous avons été libérés et rapatriés par trains et camions militaires. Nouvelle peine en arrivant chez nous : tous nos biens ayant été saisis au profit du Reich allemand, notre maison avait été occupée par les troupes allemandes. Elle l'était encore à notre retour mais par les soldats français et nous avons dû être logés chez des cousins pendant un mois. Nous n'avions plus rien, nous étions pauvres comme Job. Nous avons dû recommencer à zéro. Vraiment, il fallait beaucoup de courage après plus de deux ans d'exil et d'épreuves de toutes sortes. Un fait est certain c'est que cette dure et longue période a laissé des traces morales et physiques.

 

A notre retour nous avons eu droit à une carte de rapatrié.

 

 

Notre cas n’était pas isolé. Dans la famille de mon mari, la mère, veuve, a été également déportée avec trois enfants, les quatre aînés s'étant enfuis en août 1942, pour fuir le régime hitlérien et les représailles qui s’annonçaient suite à leurs activités de passeurs.

Je suis certaine, que le sort de l'Alsace sous l'occupation nazie n'est pas très bien connu dans la « France de l’intérieur ». Comprendra-t-on, un jour les misères que cette région a déjà vécues, au cours de son histoire. La France de Vichy n'a pas levé le petit doigt pour nous. C'est bien triste.

 

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